C’est un mémoire on ne peut plus intéressant que vient de terminer le néo-louvaniste Quentin Wijns sur le mouvement de professionnalisation de notre hockey.
Entre le département Tophockey de l’ARBH qui gère les équipes nationales, l’administration (le Bureau) de la coupole, des Ligues et des différentes task force (ex-comités), la THL, les clubs et en leur sein les cellules tophockey et les différentes sous-cellules de hockey, il y a des mondes de différences. Dans lesquels naviguent des pros et des bénévoles. Quentin Wijns a dépatouillé ce mélange de personnes dont la composition étonne. Il y a en effet 87% de bénévoles dans le monde du sport: ce chiffre de 87% correspond à une étude réalisée en 2015 sur le bénévolat sportif belge. Il correspond au nombre d’heures prestées par les bénévoles face au salariat, et non le nombre de bénévoles face aux salariés (cette différence est importante car c’est davantage un volume d’investissement horaire qui est noté, plutôt qu’une distinction des statuts).
Il a donc pu mesurer l’importance de ce bénévolat dans l’encadrement et le fonctionnement de notre sport. Ce sont les tâches les plus chronophages qui sont reprises par des salariés. Il y a un marché de l’emploi qui se crée au sein du hockey et il est important de voir où se situe les noeuds. Pour ce qui est du sportif pur, là, ce sont les pros du sport et du hockey qui prennent la place car il s’agit de spécialités où d’ailleurs des diplômes sont désormais exigés.
Repenser les logiques
Quentin Wijns est allé voir les petits clubs, les grands, les nouveaux, les anciens. « Le bénévolat est important, majeur. Nous en sommes aujourd’hui à devoir faire cohabiter une logique associative avec une logique de gestion, de management (et plus loin vers le commercial). J’ai remarqué que les nouveaux clubs partaient d’une feuille blanche et progressaient beaucoup plus vite que d’autres clubs habitués à une logique plus ancienne. Les nouveaux clubs utilisent des logiques avec des objectifs, un plan, une structure et un contrôle de tout cela. S’il y a un marché de l’emploi qui se crée, il y a aussi les bénévoles qu’il faut valoriser et canaliser. En cela, la Licence va certainement aider à mieux tenir les clubs en vie. Elle va apporter quelque chose de très positif en mettant tout le monde sur un pied d’égalité, en l’aidant à des investissements cohérents. »
Des outils
Chez certains, il faut installer un changement de mentalité en faisant accepter des outils : c’est souvent chez des gens plus traditionnels qui utilisent encore des vieilles méthodes. « Il faut oser se repenser, optimiser les procédures, oublier la vision bisounours pour utiliser les outils économiques. Il y a des outils à mettre en place pour aider à la gestion. Et en y impliquant tout le monde, et pas que les éventuels salariés, mais aussi et surtout les bénévoles : ces derniers seront d’autant plus efficaces qu’ils seront intégré aux outils. Quels outils ? Ils sont encore à trouver, à développer, à implémenter. »
Revoir la Com
Pour la communication, le marketing, on a souvent des bénévoles aux commandes. Or c’est un domaine très important. « L’exemple d’aujourd’hui est frappant. On a twizzit pour certains clubs, d’autres systèmes, on passe vers des groupes Whatsapp, vers Facebook, vers Twitter, vers d’autres supports et la communication est dispersée. La communication doit se transformer au sein des clubs : c’est un exercice périlleux. La Fédé devrait mettre en place un système de communication globale qui part du haut vers le bas et va vers les différents destinataires, adaptée à toutes les catégories d’acteurs : il faut d’abord une vision commune d’abord pour ensuite diffuser plus loin et plus bas. »
Quentin Wijns (son mail pour un contact) a diffusé un résumé de son travail que vous retrouvez ci-dessous. Il ne rendra pas public son mémoire mais se tient à la disposition de ceux qui voudraient aller plus loin dans ce domaine et, fort de son expérience de club, peut discuter des outils à mettre en place dans les clubs.
Executive Summary
Mémoire réalisé par Quentin Wijns
Louvain School of Management (UCL) – 2020
Ces 15 dernières années, le hockey sur gazon a fortement évolué en Belgique, en termes quantitatif et qualitatif. La croissance du nombre de membres au sein des clubs, les contraintes de bonne gouvernance et de formation imposées par l’État et la Fédération, et les objectifs de performance de nos équipes nationales en sont les 3 axes principaux. Ces évolutions ont complexifié l’environnement dans lequel les clubs opèrent, les obligeant à prendre davantage en considération la gestion de leur croissance, de leurs investissements, de leurs fonctionnements, etc. Si ces observations sont communes à tous les sports, la taille des clubs de hockey est une véritable spécificité et souligne les défis en termes de gestion (en 2020, 52.000 membres répartis sur 98 clubs en Belgique, 510 membres/club en moyenne et 20% des clubs ayant plus de 1000 membres, contre rarement plus de 250 membres/club dans les autres sports belges). Dans ce contexte, le concept de « professionnalisation » semble s’imposer dans les discours, bien qu’il reste mal défini au sein de l’identité associative.
Professionnalisation
Nos recherches ont souligné deux mouvements de professionnalisation au sein des clubs sportifs associatifs. Premièrement, professionnaliser c’est accepter une hybridation entre les logiques associatives (logique du don, non lucratif, …) et les logiques économiques (rationalisation économique, gestion de la performance, …). Deuxièmement, c’est établir une gestion pragmatique en mettant l’accent sur une gestion démocratique participative, c’est-à-dire au service de l’engagement individuel et collectif. C’est dépasser un appel aux bonnes volontés ponctuelles et isolées pour développer une organisation collaborative, élargissant le champ des acteurs impliqués dans le club.
Ce processus de professionnalisation n’est pas significativement lié à un processus de salarisation. En Belgique, 87% des heures prestées au sein des clubs sportifs associatifs le sont par des bénévoles. C’est pourquoi, la professionnalisation doit davantage être considérée comme une « mise en mouvement » des individus, c’est- à-dire le passage de simples logiques « d’action » à de véritables logiques de « réflexion », et qui appellent des compétences, des comportements, des attitudes professionnelles spécifiques. Cette transformation doit se faire sur trois niveaux :
- L’individu (ses manières d’interagir et d’apprendre, …) ;
- Les activités (leurs réalisations, leurs développements, …) ;
- et l’organisation (les stratégies communes, les fonctionnements et connaissances collectives, …).
Ce processus nécessite un travail itératif continu sur les trois niveaux afin de formaliser les stratégies, les structures, les fonctionnements, les savoirs et savoir-faire, … et d’évoluer vers un professionnalisme où le club se remet en question, innove et apprend. Des évolutions qui touchent les quatre axes de définition du club sportif : ses finalités, ses ressources humaines, ses règles de gouvernance, et ses moyens de financement.
Cependant, notre mémoire soulève, dans la littérature, deux déséquilibres. Le premier est une prépondérance de la dimension organisation dans la professionnalisation des clubs sportifs. Si la structuration et la rationalisation du fonctionnement des clubs semblent avancées, ces démarches semblent peu transférées au sein des activités et des individus. Le deuxième, c’est une prépondérance de la dimension sportive dans ce processus de professionnalisation, au détriment de la dimension de la gestion. Quand les entraineurs/coachs (individus), les entrainements/matchs (activités), et les Comités Sportifs (organisation) semblent capter une vaste majorité de l’attention et évoluer vers une plus grande professionnalisation, les « autres » individus/activités/organisation semblent ne pas toujours bénéficier de la même dynamique (sponsoring, marketing, communication, évènement, fan engagement, administration, GRH …).
Dans les clubs de hockey belges, nos interviews des équipes dirigeantes ont relevé une volonté professionnalisante qui traverse les clubs de toutes tailles et de tous projets sportifs. Plusieurs nuances sont cependant remarquées :
Tout d’abord, une prépondérance à la professionnalisation de l’organisation, notamment dans les rôles de gestion (Conseil d’Administration). La recherche de compétences de gestion et la structuration des rôles en sont les principaux éléments, sur lequel repose une obligation informelle de conscience professionnelle. Facilité par un contexte socio-économique du hockey favorable, ces profils professionnels semblent être disponibles bénévolement moyennant la création de vocation par le club. Par contre, la formalisation des savoirs et savoir-faire collectifs semblent devoir encore se développer.
La professionnalisation des individus est plus marquée. Dans les rôles de gestion, les profils recherchés doivent être « déjà professionnels ». Tandis que dans les rôles sportifs, les aptitudes professionnelles ne sont pas présentes de facto chez les individus, généralement plus jeunes, impliquant la mise en place de formation et d’encadrement, qui sont principalement sportives. La transition des logiques d’action en logiques de réflexion semble donc ici devoir progresser.
La professionnalisation des activités, elle, semble manquer dans les clubs de hockey. Ceux-ci semblent obnubiler par l’opérationnalité des tâches sportives et administratives, dans une pure logique d’action. La formalisation des savoirs et savoir-faire liés aux activités, leurs optimisations ou leurs diversifications ne semblent que très peu à l’ordre du jour. Pourtant, être capable de retenir le know-how au sein du club est, tout comme la rétention des talents, un défi primordial dans la gestion d’entreprise.
De ces constats, nous ne pouvons qu’inviter les clubs à établir une stratégie et un plan d’action clairement définis pour développer équitablement les trois axes de la professionnalisation, à la fois sur les dimensions sportives et non-sportives.
Outils de gestion
Dans ce contexte de professionnalisation, les outils de gestion peuvent, par leur nature, aider les clubs en instruisant les actes de la gestion (prévoir, décider, évaluer, contrôler, …) et le pilotage de leurs performances sportives, économiques, sociales, … Parce qu’ils permettent de guider les réflexions qui mèneront à l’action, les outils sont des leviers au développement de la logique professionnelle évoquée plus haut.
Cependant, il a été démontré que les outils de gestion souffrent, au sein du monde associatif, d’une vision traditionnelle, déterministe et rationnelle, rigide et réductrice de sens. Considérés alors comme opposés aux valeurs et à l’identité associative, les outils sont souvent rejetés par les associations. Le défi pour les associations est donc de dépasser cette vision pour préférer une approche dite « interactionnelle » des outils de gestion, favorisant la dimension politique au sein du club, c’est-à-dire favorisant les relations, les interactions, les synergies, les autonomies, les réflexions, … des acteurs.
Plus encore, dans le contexte d’une professionnalisation associative, les outils doivent devenir des éléments de modération des tensions qu’amène l’hybridation des clubs, afin de recréer du sens et de la cohérence. Des outils transversaux comme la formation, les espaces de discussion, les débats … permettront, par exemple, de construire collectivement les 3 dimensions du professionnalisme du club, tout en renforçant l’adhésion des acteurs dans ce changement. Correctement agencés, les outils peuvent également devenir de puissants alliés dans le renforcement des spécificités associatives, garantissant le développement des valeurs et de l’identité de l’ASBL (exemples : des axes stratégiques et des plans d’action pour canaliser les énergies bénévoles individuelles et construire les synergies ; des rétroplanning permettant de valoriser efficacement le temps mis à disposition par le bénévole ; des moments de partage d’expériences pour favoriser les autonomies ; …).
Dans les clubs de hockey belges, l’instrumentalisation de la gestion semble avérée. Pourtant, elle reste principalement dirigée vers des outils de structuration, d’orientations stratégiques, des budgets, et de gestion administrative des membres et des activités sportives. Des outils finalement plutôt rationnels, mais que les clubs semblent vouloir utiliser avec bienveillance (et non pas avec une vision déterministe).
Dans un second temps, il semble y avoir une volonté de mettre davantage à profit des outils de gouvernance collective, afin de faire participer et de conscientiser à la multitude de tâches à accomplir, vers les acteurs directs mais aussi vers les membres. L’approche interactionnelle semble souhaitée, mais elle semble manquer de ressources et d’une vision commune au sein du club pour véritablement se formaliser et prendre racine. Le caractère informel de la gestion de club semble, par endroit, être une barrière à de plus amples développements.
Cette fédération des acteurs autour des outils de gestion semble également être freinée par un manque d’outils comprenant les spécificités du hockey. Cela semble complexifier la légitimité et l’adaptabilité des outils, et ce autant pour les rôles sportifs que de gestion. Une réponse formulée à cela par les clubs est le souhait d’une mutualisation des outils et des pratiques qui fonctionnent dans d’autres clubs, afin de ne pas devoir les recréer à leur échelle.
Conclusion
Les outils de gestion peuvent aider le développement et la professionnalisation des clubs de hockey en :
- Favorisant des logiques de réflexion collective, et non uniquement des logiques d’actions des autonomies individuelles ;
- Valorisant les trois dimensions de la professionnalisation (organisation, activités, individus) dans le sportif et dans la gestion ;
- Modérant les tensions qu’amène la professionnalisation au sein du club