Non, Laurine n’était pas la première. Nous l’expliquions dans un article en 2016 que notre arbitre numéro 1 mondiale avait rejoint nos grandes arbitres qu’étaient Christiane Asselman et Dominique Aché. Mais ces deux dernières n’étaient pas les seules de notre hockey belge qui s’étaient illustrées au niveau mondial. Nous avions fait le portrait de Myriam Bruyneel qui avait brillé dans les années 70, en arbitrant entre autre la finale de la Coupe du Monde de 1974 à Mandelieu. Deux nouveaux noms sont apparus alors qu’aucune archive ne reprend ces noms, ni sur le site de la Fédé, ni ailleurs. Il y a d’abord Dominique Havelange. Il y a ensuite Viviane Philippens, épouse Joukes.
Comment c’est possible ?
« Je ne comprends pas pourquoi nos noms sont oubliés », s’étonne la toujours jeune Viviane, qui vient de fêter ses 47 ans de mariage avec son mari qui fut champion de Belgique avec le Victory en 1962. Aujourd’hui, elle ne peut plus lire Tintin, mais s’adonne toujours au golf, au tennis 5 fois par semaine et au vélo. Elle a débuté sa carrière hockey en Cadets au Dragons. « C’était mixte; puis est venu le temps de passer en scolaires et il n’y avait pas d’équipe, alors le club nous a prêté au Victory et nous y sommes parties à 3 : Danielle Vermeylen, Julienne Vermeulen et moi. C’était pour donner le temps au Dragons de former une équipe Dames. Après trois ans, nous sommes revenues au club et j’ai joué en première. Puis mon fils est né, et j’ai ensuite joué en ladies. Entretemps, j’avais commencé à arbitrer, c’était vers mes 27 ans. »
Très vite, Viviane Philippens se faisait remarquer. Elle allait arbitrer sous le nom de son mari : Viviane Joukes. Elle débutait en Dames puis rejoignait rapidement le championnat Messieurs. « J’ai arbitré avec Patrick Van Beneden mais aussi avec mes consoeurs de l’époque. Et puis j’ai été proposée par Hubert Asselman, le président du comité d’arbitrage, à la fédération internationale. Et tout est allé très vite. »
Un parcours international fulgurant
Avec un arbitrage sévère, Viviane Joukes ne trouvait que peu de monde pour la critiquer. Elle était respectée. « Il faut rapidement s’imposer et tout va bien alors. Il y avait moins de discussions qu’aujourd’hui. » 1978 était une année chargée avec une série ininterrompue de matchs et de tournois qui l’amenait aux Pays-Bas, en Espagne, en Allemagne et en France. Elle était très bien cotée si bien qu’elle recevait son titre d’arbitre internationale en octobre 1978. Elle continuait son parcours et en janvier 1980, elle recevait sa couronne en or, elle était couronnée (en même temps que Myriam Bruyneel), ce qui indiquait qu’elle devenait arbitre internationale en catégorie I. Soit l’équivalent du panel olympique.
La finale à Moscou
Si le hockey belge n’est pas allé aux JO de Moscou en 1980 (les Messieurs étaient pourtant qualifiés), c’était dû au boycott politique. Pourtant, Viviane Joukes y est allée. « J’ai été désignée par la FIH et j’ai accepté car il s’agissait de sport. Je suis partie en retard de Belgique pour ne pas devoir défiler. Cela a été une très belle expérience. Les conditions étaient très particulières. On était très surveillées, avec des gardes partout. Mais j’en garde un souvenir extraordinaire. »
Au début du tournoi, les instructions étaient d’y aller doucement : « Le TD demandait d’y aller relax. Mais moi, j’étais là pour arbitrer et j’ai gardé ma façon de siffler. On m’a donné comme premier match à arbitrer la Russie. J’ai sifflé sec, comme d’habitude. Après quelques minutes, il y a eu une faute sévère des Russes dans les 25, pc et goal. Pendant le tournoi, tous les arbitres ont reçu comme cadeau de la part de l’organisation un Samovar… sauf moi (rires). On recevait aussi après le match dans le vestiaire une bouteille de champagne … chaude. On retournait à l’hôtel la mettre dans le frigo. »
Cela n’a pas empêché le TD de désigner la Belge et une néerlandaise pour siffler la finale du tournoi. Un honneur relevé d’ailleurs dans la presse.
Le tournoi olympique se terminait par la victoire du Zimbabwé (la Rhodésie alors) devant la Tchécoslovaquie et l’URSS.
Jamais payée
Le hockey restait amateur et Viviane Joukes n’a jamais touché un franc pour ses prestations. Elle a dû même payer ses déplacements. « Tout était honorifique. Nous touchions des frais de déplacement, mais c’est tout. Quand j’entraînais dans mon club le mercredi après-midi, tout était bénévole. C’était ainsi. Un jour, je fus désignée pour un tournoi majeur à Rome; il allait durer 15 jours. Peu avant, les Messieurs avaient été en tournoi à l’étranger et la Fédé s’est trouvée sans argent. Ils m’ont dit que je devais me débrouiller moi-même, de payer l’avion ou d’aller en bus avec un autre pays. C’est bien simple, je n’ai pas été ! »
Le plus amusant de cette époque est la lettre de l’ARBH où on annonce la désignation de l’arbitre pour les finales de coupe. La convocation précise, avant les félicitations d’usage pour la circonstance, que la désignation est considérée comme honorifique et ne donne pas droit aux remboursement des frais.
Je l’ai regretté
Viviane Joukes avait « fait » une page dans un journal néerlandophone que nous n’avons pas pu identifier (sans doute Het Laatste Nieuws) où l’on retrouve les habituelles poncifs d’alors : « Hockey is een elitaire sport, voorbehouden aan francofone wauwelaars en dito slippendragers ». Cela avait fait bondir notre arbitre qui, au contraire, avait bien signifié au journaliste Eric Moerman que ce n’était pas le cas et qu’avec un stick et une paire de chaussure à 200 francs, on pouvait y jouer. Et de relever bien sûr la haute technicité du hockey. Joukes n’avait pas sa langue en poche et avait expliqué clairement sa présence à Moscou. Ecourtée pour ne pas défiler, mais qu’elle a regretté. Elle explique également dans l’article la fin de sa carrière à la mi-1981. Désignée pour la coupe du Monde de 81 en Argentine, elle en a été écartée par l’ARBH de manière frauduleuse (et pas par le comité d’arbitrage, insiste-t-elle). « J’ai donc décidé de raccrocher, de passer à autre chose et de m’occuper de mon fils. J’ai regretté d’arrêter à seulement 38 ans, mais je ne pouvais pas accepter ce qui s’est passé », conclut-elle en refusant toutefois de préciser plus avant les circonstances et les personnes impliquées. Les tentatives pour faire revenir Joukes sur sa décision, même venues de l’étranger, n’ont rien changé à la décision de ce caratère fort. « Het is mooi geweest! »
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